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Histoires de vol et de rencontres au Brésil 🇧🇷

C’est l’histoire de malfrats qui vont changer le cours de mon tour du monde. A peine 12h après mon arrivée au Brésil, 4 péruviens vont me tendre un piège pour me subtiliser mon sac à dos. Ils ne savent pas qu’il contient mon passeport, mes cartes de crédit, mes permis et mon appareil photo. Ils ne savent pas que j’avais prévu de ne rester qu’une semaine. Ils ne savent pas qu’en m’agressant ils vont me donner la chance de vivre des moments parmi les plus forts de mon voyage.

Je dédie ce texte à Cécile et sa maman, à mes parents et à toutes les personnes qui m’ont aidé à me relever.

Je termine la partie africaine de mon tour du monde comme une bombe. Je viens de passer près de 2 mois de rêve entre la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et la Namibie. Tout a été parfait et je me sens d’attaque pour la seconde partie du tour du monde : l’Amérique du Sud. Aujourd’hui, je prends mon avion depuis Johannesburg à destination de Sao Paulo. Je suis un peu dans le brouillard. J’ai discuté toute la nuit avec un chef d’entreprise sud-africain qui a développé un business de transport florissant. Nos longues discussions rythmées par plusieurs verres de rhum nous ont rapidement fait oublier l’heure qui passe. Je dors peu et mal. La traversée de l’Atlantique sera pour moi un doux rêve. J’ai dormi tout au long des 9h30 de vol, soit le plus long vol de mon tour du monde effectué.

24h plus tard, tout a changé

Me voici à Sao Paulo. Je me rends directement à l’hôtel que j’ai réservé la veille. Je comprends vite pourquoi les prix étaient si intéressants. La chambre est petite et mal insonorisée, le lit inconfortable et la porte a du mal à se fermer à clé. Je constate aussi au niveau du lobby qu’ils ont placé une planche de bois à la place d’une vitre qui donne sur la rue. Celle-ci n’est même pas vissée. Connaissant la réputation de Sao Paulo et plus généralement du Brésil en termes de sécurité, ça ne me rassure pas. Cette méfiance sera lourde de conséquence. Le lendemain, alors que j’ai prévu une visite du centre-ville avec un guide local, je décide de prendre avec moi mes papiers et mes cartes de crédit ainsi que mon appareil photo reflex. La sécurité de l’hôtel laissant à désirer et mon guide m’ayant assuré que je pouvais venir sans crainte avec mon sac, j’ai l’impression de prendre la bonne décision.

Catédral da Sé - Sao Paulo

Il est midi et je suis donc au centre-ville, proche de la Catédral da Sé. J’ai rendez-vous à 13h devant le monument. En attendant, je mange et fais quelques courses. Impossible de trouver un magasin qui vend une carte sim locale. Je vais devoir me rendre dans un magasin spécifique situé au niveau de l’avenue Paulista. C’est loin, on verra ça plus tard. Il est 12h50. Je suis sur les marches et attends mon guide. C’est alors qu’un monsieur d’une cinquantaine d’années s’approche et me fait signe. Il pointe ma jambe avec son doigt. Je regarde et vois une trace de couleur marron le long de mon mollet. Mais comment me suis-je fait ça ? A cet instant, je suis loin de me douter que je suis pris dans l’engrenage d’un piège qui va se refermer doucement.

Cette personne sort alors de son sac des mouchoirs qu’il me tend et in fine essaie de gagner ma confiance. Je reste prudent et lui demande de ne pas s’approcher. Les mouchoirs n’enlèvent que partiellement la tâche. Il gesticule, me parle portugais, je ne comprends pas ce qu’il me dit mais il me pointe désormais l’intérieur de la cathédrale.

Je crois comprendre pouvoir trouver de l’aide là-bas. Je suis confus mais ne me sens toujours pas en danger. Je me dirige donc vers l’intérieur de la cathédrale. Or, c’est au niveau du sas d’entrée du monument que cette personne revient et me donne de nouveaux mouchoirs. Je trouve cela bizarre mais accepte de les prendre tout en veillant à garder une distance entre lui et moi. Vient le moment fatidique. Je retire mon sac à dos et le pose face à moi contre un mur. Le temps de m’accroupir et de me retourner 5 secondes pour finir de nettoyer ma jambe, un deuxième homme sorti de nulle part attrape mon sac et court vers la sortie. Je n’ai même pas le temps de voir l’action mais je comprends vite. Je lui cours après. Deux hommes positionnés au niveau des marches me font des signes et m’indiquent une direction. Je ne vois pas mon voleur. C’était un leurre !

Je reviens alors dans le sas d’entrée pour retrouver le premier homme. Celui-ci a également disparu. Je le recherche, il y a beaucoup de monde mais j’aperçois sa silhouette déjà loin en train de courir. Je cours plus vite que lui et le rattrape facilement. Je l’agrippe alors avec véhémence. Imaginez mon état, je viens de perdre mon passeport, ma carte d’identité, mon permis voiture, mon permis bateau, environ 80 euros en réals, mon appareil photo reflex, mon chargeur externe, ma veste North Face, un sac à viande qui trainait dans une poche arrière et mon sac à dos de trek fétiche. Tellement bêtement. Je suis énervé, incontrôlable, je le pousse, lui crie dessus. Il tombe. Je suis violent, je ne me reconnais pas. En y réfléchissant aujourd’hui, je réalise avoir été totalement inconscient, aveuglé par ma colère. Je suis au Brésil. Un coup de couteau est vite arrivé. Heureusement, il n’est pas armé.

Je suis énervé, incontrôlable, je le pousse, lui crie dessus. Il tombe. Je suis violent, je ne me reconnais pas.

Je le tiens trop fort pour qu’il puisse s’échapper. Je lui demande d’appeler ses complices pour faire un échange : mon sac contre de l’argent. Je veux récupérer mes papiers et mon appareil photo. Il fait mine de comprendre ma demande et appelle ses amis. Pendant 30 minutes, il va négocier, ou me donner l’impression de négocier, mais en réalité il me fait tourner en bourrique. Je ne comprends pas ce qu’ils se disent, sauf une phrase. « Esse bastardo me segura » soit « ce bâtard me tient ». Rien à faire, je peux oublier mes affaires. Je cherche alors de l’aide. Personne ne bougera le petit doigt malgré mes appels à l’aide dans cette rue pourtant très fréquentée. Pendant de longues minutes, je suis un fantôme dans cette ville de 13 millions d’habitants. Cela m’afflige. Une femme que j’interpelle et qui par chance parle anglais ne trouve rien de mieux que de lui faire la morale avant de tourner les talons… inutile. Finalement, un commerçant de la rue se décide à me prêter main forte et appelle la police.

Double choc

Les policiers arrivent rapidement. Ils nous embarquent au poste qui n’est pas très loin. Heureusement, eux aussi parlent suffisamment bien anglais pour comprendre la situation. Ils m'expliquent que cela est courant. Cet homme et ses complices sont péruviens. Ils sévissent sur la place depuis de nombreuses années. Les policiers engueulent mon agresseur dans la voiture et le bousculent. Je lis la peur dans son regard. Je vais comprendre quelques minutes plus tard que son calvaire ne fait que commencer. Nous arrivons au poste. Le péruvien est directement emmené dans une salle à gauche. Quant à moi, on me dit d’aller un peu plus loin à droite pour faire ma déposition de plainte. En passant devant la salle de gauche, je vois mon agresseur se faire agresser. Deux policiers lui assènent des coups de poings violents au ventre. Cela me choquera profondément.

Immense ville de Sao Paulo

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Une fois ma plainte déposée, je décide d’aller voir le péruvien une dernière fois. Je tente d’installer une discussion malgré la barrière de la langue pour comprendre qui est cet homme. Je comprends que sa femme et ses 5 enfants sont au Pérou et qu’ils n’ont pas d’argent pour vivre. Il fait des petits boulots et vole pour subvenir aux besoins de sa famille. La discussion coupe court car les flics n’aiment visiblement pas que nous parlions ensemble. Ils emmènent le péruvien ailleurs et me donnent un peu d’argent pour rentrer à l’hôtel.

Me voici à Sao Paulo, l’une des plus grandes villes du monde, sans papiers, ni argent. Je ne connais personne et ne parle pas la langue. Il me reste mon téléphone portable. Je suis fatigué et énervé. Surtout contre moi-même de n’avoir pas compris ce qui m’attendait sur les marches de cette cathédrale. Je ne le sais pas encore, mais je vais aller de surprise en surprise les prochains jours.

La redemption

Le taxi me dépose à l’hôtel. Je suis abattu. Je croise le gérant à qui j’explique ce qui vient d’arriver. Il n’est pas surpris. Il conclut notre discussion par un fataliste « that’s Brasil bro ». Cette phrase, je vais l’entendre des dizaines de fois pendant mon séjour. Nous sommes en pleine présidentielle. La campagne est bouleversée par l’emprisonnement de Lula pour corruption et l’émergence surprise de Jair Bolsonaro, député d’extrême droite qui véhicule un discours violent, ultra-sécuritaire et nostalgique de la dictature militaire. Jusqu’à mon départ, je vais être le témoin des tensions et de l’exaspération des différentes classes de la société brésilienne. La réaction désabusée du gérant aujourd’hui n’en est qu’une première illustration.

Je me dirige vers ma micro-chambre et m’allonge sur mon lit. Je refais mille fois la scène dans ma tête, essaie d’analyser ce qui s’est passé pour comprendre mes erreurs. Manque de prudence, confusion ou encore naïveté vis-à-vis de la cathédrale (dans mon esprit, une église est forcément un lieu sûr). J’ai du mal à encaisser le coup. J’appelle mes proches pour leur annoncer la nouvelle. Ça fait du bien de leur parler, ils me remontent le moral. Mon père me propose son aide financière pour assurer les prochains jours le temps que je récupère mes cartes de crédit.

Direction Western Union proche du centre ville

Nous décidons de passer par Western Union, seul moyen rapide pour me transférer de l’argent. Mais nous ne savons pas si cela fonctionnera car je n’ai plus aucunes pièces d’identité valides à présenter sauf les scans de mon passeport et ma carte d’identité enregistrés dans mon téléphone portable (heureusement, celui-ci était dans ma poche et non dans mon sac). De toute façon, je n’ai pas le choix. Je me rends donc au bureau Western Union le lendemain matin à la première heure. Le guichetier me remet l’argent sans moufter sur la base du scan de mon passeport volé et de la plainte. Une première victoire, je vais pouvoir avancer.

Attitude post-agression

La problématique financière réglée, je vais m’appliquer à laisser derrière moi tout ce qui est lié de près ou de loin à cet épisode. J’ai besoin de vivre des moments positifs. Je recherche donc un nouvel hébergement sûr et convivial qui soit à proximité de l’ambassade française. En recherchant sur Booking, je tombe sur une auberge de jeunesse bien notée et située dans le quartier branché de Vila Madalena. Elle n’est pas très loin de mon hôtel actuel et une chambre solo est disponible pour pas chère. Je la réserve, prépare mes affaires et m’y rend en taxi. Je me souviens avoir attendu quelques minutes devant l’imposante grille blanche de l’établissement avant qu’ils viennent m’ouvrir. Être dans la rue, visible de tous, avec le reste de mes affaires et l’argent retiré plus tôt sur moi m’a vraiment angoissé. C’est un peu parano, mais j’ai désormais l’impression d’être une cible dès que je mets un pied dehors. Mais que font-ils bordel ? Qu’ils se dépêchent, je dois mettre mes affaires en sécurité. Finalement, une jeune femme arrive tranquillement et m’ouvre la grille. Me voici à l’intérieur, rassuré. Je repenserai à ce moment plus tard et trouverai ma réaction ridicule et quelque peu démesurée. Il va falloir que je me détende.

Les prochains jours vont se résumer à des allers-retours entre l’auberge et un cyber-café pour imprimer les documents nécessaires à la réalisation de mes nouveaux papiers (passeport, permis…), un studio de photographie pour refaire des photos d’identité règlementaires, le Consulat Général de France pour lancer les démarches administratives, la Poste brésilienne et… la laverie.

Ce quotidien monotone est toutefois égayé par les 3 jeunes femmes qui gèrent l’auberge et Daniel, un backpacker allemand un peu fou mais très sympa, avec qui j'ai noué de bonnes relations. Les filles m’invitent à diner et me font découvrir le Churrasco, nous passons nos soirées à discuter de tout et de rien, surtout de politique, elles me font visiter le quartier et notamment Beco do Batman, un célèbre repère d’artistes de streetart. L’une d’entre elles est péruvienne. Elle m’aide beaucoup. Comme si elle portait sur ses épaules la responsabilité des actes de mes agresseurs. Je trouve cela touchant. Daniel, quant à lui, me fait découvrir les bars et clubs branchés du coin. Il est à la recherche de la meilleure Caipirinha de la ville et je l’aide volontiers dans son entreprise.

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Je découvre par ailleurs et non sans admiration que mes 3 nouvelles amies mènent en parallèle de leurs petits boulots et de leurs études, un combat féministe pour faire entendre la voix des femmes en ces temps d’élection présidentielle. Elles organisent tous les mercredis soir à l’hostel des réunions discrètes pour fixer les prochaines manifestations et actions coup de poing à mener contre le candidat Bolsonaro. J’ai assisté à l’une de ces réunions. Un moment fort que j’aurais aimé documenter en photo.

Après 3 jours passés dans cette auberge, mon spleen commence à s’évacuer. J’ai bouclé toutes les démarches administratives (demandes de passeport et de carte d’identité, permis…) et accepté l’idée d’être bloqué à minima 3 semaines ici le temps de réceptionner les documents. J’ai commandé mes nouvelles cartes de crédit, racheté un sac à dos photo et une batterie externe qui seront livrés chez mon père mais aussi et surtout intégré un groupe de gens cools avec qui je m’entends bien. Les choses se remettent doucement en place.

Une surprise de taille

La photographie fait partie des principales raisons qui m’ont amené à faire ce tour du monde. J’ai l’impression d’avoir récemment passé un cap dans la maitrise de cette discipline et ce voyage doit être une forme de confirmation. Je m’applique donc à partager de manière quotidienne mes photos sur les réseaux sociaux depuis mon départ et je dois dire que j’y prends beaucoup de plaisir. Les retours sont positifs et je suis content de mon travail. Je commence même à penser à l’organisation d’une exposition à mon retour.

Les courbes du Copan Building imaginé par Niemeyer - Sao Paulo

Or, le vol de mon appareil photo donne un véritable coup d’arrêt à cette dynamique. Je peux consacrer une partie du budget de mon tour du monde au rachat du sac à dos et de la majorité des affaires qui m’ont été volées sans qu’il ne soit véritablement altéré. Mais sortir plus de 2000€ pour un nouvel appareil, c’est bien au-delà de mes moyens et je refuse d’amputer mon tour du monde de plusieurs destinations pour économiser cette somme.

Je commence donc à me tourner vers d’autres solutions : acheter un appareil moins ambitieux, vendre certaines de mes affaires en France, faire un crédit… Tout y passe, jusqu’à cette discussion avec Priscilla, une amie et ancienne collègue de boulot, qui souhaite m’aider et me suggère d’ouvrir une cagnotte en ligne. J’hésite, je n’ai jamais fait ça et demander de l’argent pour continuer à réaliser mon rêve me parait être une initiative égoïste. Je me lance malgré mon hésitation et ouvre la cagnotte dans la journée, encouragé par mes proches avec qui j’ai partagé cette idée.

24h après l’ouverture de la cagnotte, l’objectif de 1500€ est atteint. Incroyable ! La cagnotte montera même jusqu’à 2000€ au bout de 2 jours. C’est totalement inattendu. Je n’ai pas de mots assez forts pour décrire ce que je ressens en voyant cet élan de générosité. J’ai envie de prendre chacun des contributeurs dans mes bras, de les remercier 1000 fois. Maurice, Laurette, Thierry, Marion, Pierre-André, Guillaume, Maud, Sandy, Amélie, Frédéric, Myriam, Béa, Walter, Laurane, Priscilla, Marion, Guillaume, Maud, Olivier, Clément, Nadine, Cécilia, Antoine, Magali, Olivia, Marie-Charlotte, Émilie, Laure, Yanis, Olivier, Éric, Laure, Sandra, Aurélien, Esthi, Alexia, Margaux, Robin, Carole, Mathieu, Séverine, Isabelle, Stéphanie, Joël, Lili, Soizic, Elodie, Jérôme, Jacky, Tiphaine, Corinne, Yannick, Anne-Sophie et tous les inconnus qui ont participé à la cagnotte : je ne vous remercierai jamais assez. Vous m’avez donné une force inouïe et m’avez permis de tourner définitivement la page de cette mésaventure.

Un élan de générosité inoubliable

Ce soir, je veux fêter cela. Nous sortons boire un verre avec Daniel et 2 néerlandais qui viennent d’arriver à l’auberge. Comme d’habitude au Brésil, la soirée est festive et l’ambiance bon enfant. Nous rigolons bien et faisons beaucoup de rencontres dont un brésilien qui va insister pour nous offrir des verres. Nous réaliserons plus tard en ramenant l’un des néerlandais qui s’est soudainement senti mal que cette personne un peu trop amicale avait probablement ajouté du GHB dans un verre. Il faut rester vigilant.

Je commande mon nouveau matériel photo le lendemain. Les prix étant 20 à 30% plus chères au Brésil, j’ai choisi d’effectuer mon achat sur un site spécialisé anglais qui propose par chance une belle offre promo pour un pack identique à mon matériel initial. Je saisis l’offre et envoie le tout chez mon père qui va rassembler toutes mes affaires dans le nouveau sac photo. Nous allons faire d’une pierre deux coups. Il y insérera l’appareil photo, l’objectif, les cartes mémoires, le filtre ND, les cartes de crédit et la nouvelle batterie externe. Je dois maintenant trouver un moyen sûr de récupérer ce sac sans me ruiner en frais de transport. Cette recherche va me conduire jusqu’à l’une des rencontres les plus importantes de mon tour du monde. Cécile.

La rencontre

Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec Cécile. Nous sommes convenus de nous retrouver pour bruncher. C’est samedi, il fait beau. C’est la première fois que nous nous voyons. J’ai fait la connaissance de cette française expatriée à Sao Paulo sur Facebook. A vrai dire, c’est la seule à avoir répondu positivement à mon message posté sur le groupe « Les Français de Sao Paulo » dans lequel j’explique rechercher quelqu’un qui fait prochainement le voyage France ➩ Sao Paulo pour me ramener mes affaires. Cela me permettra d’éviter un envoi couteux à l’issue hasardeuse. Cécile me dit que sa mère lui rend visite dans 3 semaines et qu’elle serait d’accord de prendre mes affaires avec elle. Le hasard faisant bien les choses, nous nous rendons compte que sa mère habite à moins d’une heure de chez mes parents. Presque trop beau pour être vrai. Nous décidons donc de nous voir pour faire mieux connaissance et valider cette affaire.

La voici enfin. Une jeune femme svelte aux longs cheveux légèrement bouclés avec un air de parisienne apparait. Je lui fais signe, elle s’approche. Le courant passe tout de suite et confirme mes premières impressions. Nos racines alsaciennes communes, notre histoire familiale presque similaire, la proximité des milieux professionnels dans lesquels nous évoluons et beaucoup d’autres facteurs font que, malgré les 8 années qui nous séparent, notre entente est idéale. Nous passerons la journée ensemble et nous ne nous quitterons que vers 20h après avoir décidé de passer le week-end prochain ensemble à Ubatuba, une petite ville bordée par l’océan atlantique à 3h de Sampa dont Cécile a entendu parler pour ses jolies plages.

Je rentre à l’auberge heureux de cette rencontre à l’étonnante saveur de retrouvailles avec une amie perdue de vue depuis des années. Je me suis senti au bon endroit, au bon moment avec la bonne personne. Je raconte mon après-midi à Daniel et aux filles avec qui j’avais prévu de diner. Ils y voient les signent annonciateurs d’une future idylle amoureuse. Peut-être comme vous qui lisez ces lignes. Or cette fois-ci c’est autre chose. Une sorte de coup de foudre amical, sans ambiguïté, sincère et naturel. D’ailleurs, Cécile a un copain en France. Je ne me pose même pas cette question. J’ai juste hâte de la revoir. C’est drôle. Il y a 5 jours, j’étais au fond du trou. Aujourd’hui, je suis chanceux.

Le plus grand ennui, c’est d’exister sans vivre – Victor Hugo

Dimanche, il pleut. Je dois me trouver des occupations en attendant vendredi et notre week-end à Ubatuba sous peine de mourir d’ennui à attendre. Je m’occupe de refaire mon permis bateau, aide les filles à tenir la boutique, travaille sur mes photos africaines ou encore joue au poker en ligne. Tous les jours, ma famille et mes proches me téléphonent. Guillaume, qui a voyagé avec moi en Afrique du Sud, me propose de me rejoindre en Nouvelle-Zélande à la fin de l’année. Une super nouvelle. C’est entendu. Mardi soir, Cécile me propose de diner chez Jojo, le meilleur ramen de la ville selon ses amis brésiliens. Je convie à cette sortie un couple de français qui viennent de s’installer à Sao Paulo et qui ont pris contact avec moi suite à mon appel à l’aide sur facebook. Je me souviens de cette soirée loufoque qui restera comme un grand moment comique partagé avec Cécile. Bien que sympathiques, ces deux français sont bourrés de clichés : râleurs, trop sûr d’eux, hautains… Un véritable sketch qui ne nous empêche pas de passer une bonne soirée. Cécile et moi allons boire un verre suite au diner. Une nouvelle idée de voyage germe dans nos esprits volontaires : nous irons à Rio de Janeiro dans deux semaines.

Mercredi est un jour spécial car je reviens sur la scène du crime. J’ai reprogrammé la visite manquée du centre de Sao Paulo aujourd’hui. Rendez-vous à 13h devant la Catedral da Sé. Revenir sur ces marches me fait du bien. Je veux conjurer le sort. Je n’ai plus rien à me faire voler, je n’ai peur de rien. Mon guide arrive accompagné d’un couple de brésiliens originaires du nord qui participeront à la visite. Nous reparlons de ma mésaventure. Il connait la mauvaise réputation de la place. Je lui demande donc pourquoi il m’a assuré pouvoir venir sans crainte avec mon sac ? « That’s brasil bro, everything can happen ». Cette réponse a du mal à passer et je lui signifie mon mécontentement. Après quelques explications en aparté, nous démarrons la visite : œuvres architecturales de Niemeyer, Églises, Hôtel de ville, Opéra… nous visitons les lieux emblématiques du centre-ville et l’écoutons religieusement nous conter l’histoire du développement chaotique de cette ville. C’est intéressant. La visite se termine dans un bar. L’ambiance s’est détendue. Mon guide m’avoue être le meilleur ami de Max Cavalera, leader charismatique des groupes de métal Sepultura, puis Soulfly. Les gens de ma génération sauront de quoi je parle. Je rentre à l’auberge. Ce soir, nous fêtons la dernière soirée de Daniel qui quitte Sao Paulo demain. Les filles ont préparé un repas délicieux qui mêle spécialités chinoises et péruviennes. Tout cela arrosé évidemment de caipirinhas. L’ambiance est festive et joyeuse.

Nous aurions pu finir en prison

Nous sommes vendredi. A mon tour de quitter l’auberge après y avoir passé près de 10 jours. Je laisse cet endroit nostalgique des bons moments partagés avec les filles et Daniel avec qui je suis toujours en contact aujourd’hui. Je me rends chez Cécile. Nous avons prévu de prendre la route en fin d’après-midi. C’est ma première sortie hors de Sao Paulo. Je suis excité comme un enfant. Cécile m’accueille chez elle avec des crêpes brésiliennes au tapioca succulentes en guise de petit déjeuner. En attendant son retour du travail, je fais quelques courses et profite de mon temps libre pour passer chez le coiffeur. La journée passe vite. Nous quittons l’appartement à 17h pour un périple qui s’avèrera bien plus long que prévu. Les bouchons sont un véritable enfer. Nous prenons une heure pour parcourir les 10 kilomètres qui séparent l’appartement de Cécile au loueur de voiture, et une heure supplémentaire pour sortir de cette ville immense. Enfin la route se dégage. Après s’être arrêtés à une aire de repos pour diner, je propose à Cécile qui est fatiguée de prendre le volant tout en étant bien conscient que je n’ai aucun permis à présenter et que nous n’avons pas souscrit l’option second conducteur. Risqué mais nous ne sommes plus très loin. Elle accepte. Nous avançons rapidement, discutons beaucoup, chantons, éclatons de rire… jusqu’à ce contrôle de police à 40 km d’Ubatuba.

Nous avançons rapidement, discutons beaucoup, chantons, éclatons de rire… jusqu’à ce contrôle de police à 40 km d’Ubatuba.

Voici que la pire des situations se présente. Nous sommes arrêtés par la police à un checkpoint. Deux autres voitures qui nous précèdent également. Je crois que j’ai dépassé la limitation de vitesse. Je regarde Cécile qui est dans le même état que moi, un mélange de stress et de peur. Un flic s’approche de la voiture. J’ouvre la fenêtre. Il nous parle en portugais puis dans un anglais très approximatif après avoir compris que nous étions étrangers. Je lui tends mon téléphone portable avec une photo de mon passeport volé comme si de rien n’était. Il repart dans son bureau et revient nous voir 5 minutes après. Il me rend le téléphone et nous dit que tout est en règle et que nous pouvons partir. Ouf ! Quel soulagement. Je me voyais déjà au poste, voire même dans l’avion renvoyé illico en France. Nous ne saurons jamais pourquoi ils ont décidé de nous laisser partir sans même m’avoir demandé mon permis et les papiers de la voiture.

Nous arrivons à l’hôtel à 1h du matin. Ce périple plutôt éprouvant nous a lessivé et nous allons rapidement nous coucher. Demain, nous avons prévu de faire la Trilha 7 Praias Desertas, une randonnée de 9 kilomètres qui longe le littoral atlantique et traverse 7 plages sauvages réputées pour leur beauté. Nous devons être en forme.

Bienvenue sur la Costa Verde

Nous partons en milieu de matinée après avoir profité d’un bon petit-déjeuner en terrasse face à l’océan. Je découvre une nouvelle facette du Brésil bien plus attrayante que ce à quoi j’ai été confronté jusqu’alors. Les gens sont gentils et agréables, la vie ici me parait être plus sereine. Notre randonnée démarre sur la plage et s’enfonce rapidement dans une forêt tropicale luxuriante. La côte n’est jamais très loin et nous tombons régulièrement sur des petits endroits de paradis ou nous nous baignerons. Nous sommes presque seuls sur le parcours car le temps est maussade mais le gris du ciel n’enlève rien à la beauté de cette nature sauvage. Plus nous avançons, plus les nuages se noircissent. Peu importe, nous prenons le temps d’apprécier le spectacle. Nous grimpons sur un rocher disposé au milieu d’une immense plage. Le vent souffle de plus en plus fort et les vagues qui se brisent face à nous gagnent en puissance. Le ciel va bientôt se mettre à déverser des trombes d’eau. Nous finirons la randonnée trempés mais heureux d’avoir découvert cet endroit sublime.

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Comme ce n’est pas une boucle, nous devons prendre un taxi pour rentrer à l’hôtel. Après une bonne douche chaude et un peu de repos, nous partons diner dans un restaurant des alentours qui ne paie pas de mine. Ils y servent la Moqueca de Bahia, un plat traditionnel brésilien à base de poissons et crustacés, qui ravira nos papilles. La randonnée, le froid et le vent nous ont fatigué, et les caipirinhas finissent de nous achever.

Le lendemain, nous partons pour Paraty, ancienne ville coloniale et portuaire, haut-lieu de la cachaça, également connue pour ses rues pavées et ses maisons colorées. La route entre Ubatuba et Paraty est magnifique. Elle longe la Costa Verde, une côte de 200 km, couverte de cocoteraies, arborant près de 2 000 plages face à plus de 350 îlots montagneux. Paraty vaut le détour. La ville est jolie. Les récents épisodes de forte pluie ont provoqué l’inondation des rues pavées de la ville. L’eau qui recouvre les rues reflète les maisons colorées éclairées par un soleil brillant. J’aurais aimé avoir mon reflex pour capturer cette beauté scénique.

Après quelques heures agréables passées ici, il est temps de prendre la route pour rentrer à Sao Paulo. Nous suivons le GPS qui nous fait passer par de petites routes de montagne. L’orage est de retour, le brouillard s’est levé et la jungle que nous traversons nous donne l’impression d’être perdus au bout du monde. Je suis inquiet, notre réservoir affiche moins d’un quart du plein, nous n’avons pas de réseau et la prochaine ville est à plus de 60 kilomètres. Finalement, le brouillard se dégagera sur l’autre versant de la montagne et nous trouverons une station essence avant de tomber en panne. La circulation est fluide jusqu’à notre arrivée à Sao Paulo. Il n’y a personne sur la route. Ce soir, les brésiliens ont voté pour le premier tour de l’élection présidentielle et les médias commencent à annoncer les résultats. Bolsonaro est en tête. Je pense aux filles de l’auberge qui doivent être effondrées.

Magnifique rivière de Janvier

Les prochains jours sont rythmés par un enchainement de bonnes nouvelles : mon passeport et ma carte d’identité sont arrivés au Consulat, l’appareil photo et le sac à dos ont été livrés chez mon père, les prochaines étapes de mon voyage en Amérique du Sud se dessinent et ce week-end nous allons visiter Rio de Janeiro. Je dispose d’une chambre dans une magnifique villa coloniale où je rencontre d’autres résidents de passage dont deux français : Steven et Lenka. Steven qui est chef cuisinier à Sampa depuis près de 15 ans me raconte s’être déjà fait enlever 2 fois. Mais cela n’entache pas son enthousiasme pour ce pays dont il est tombé amoureux. Lenka, quant à elle, est sculptrice en mission à Sao Paulo pour décorer le lobby d’un hôtel de luxe. Elle est totalement terrorisée par cette ville et a même avancé sa date de retour en France à tel point elle s’y sent mal à l’aise. Comme toujours avec ce pays, je suis confronté à l’amour et la haine à son égard.

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Rio de Janeiro est un grand moment de découverte, de sport et de fête. La route entre les deux plus grandes villes du pays est longue mais nous nous relayons avec Cécile, motivés par le superbe hôtel qui nous attend. Le trajet se déroule sans encombre. La piscine sur le toit avec vue plongeante sur la mythique plage de Copacabana nous fait oublier notre fatigue. Depuis ce camp de base luxueux, nous visitons cette ville surprenante à bien des égards. Elle me fait penser à Cape Town. Les contrastes y sont plus visibles qu’ailleurs. Contraste géographique entre plages et montagnes, contraste économique qui se manifeste par de fortes inégalités de richesse, contraste de mentalité qui oscille entre joie de vivre et peur du lendemain ou encore contraste architectural avec partout des immeubles de bureaux modernes qui côtoient des bâtisses croulantes... Nous visitons plusieurs lieux très touristiques comme le remarquable jardin botanique tropical de la ville ou les escaliers Selaron. Mais le point d’orgue de notre séjour est, à ne pas en douter, notre randonnée pour atteindre le sommet du pain de sucre que nous effectuons samedi.

La dernière ligne droite

Nous sommes de retour de Rio et voici mes derniers moments à Sampa qui se profilent. Cécile m’a gentiment proposé de m’héberger jusqu’à mon départ pour Iguazu dans quelques jours. Un soir, nous discutons photographie et Cécile me propose de regarder "Le sel de la terre". Un documentaire qui retrace la carrière du célèbre photographe brésilien Sebastião Salgado. Quelle claque ! Je me rends compte du chemin que j’ai encore à parcourir pour devenir un photographe aboutit. Cet homme est si inspirant. Cela me motive encore davantage. J’ai vraiment hâte de récupérer mon nouveau reflex.

Je profite de ces derniers moments passés avec Cécile qui s’organise pour passer moins de temps au bureau. Nous allons voir une exposition au MASP, nous nous promenons et sortons presque tous les soirs. Cécile n’a pas eu l’occasion de me présenter ses amis jusqu’à présent. Je rencontre donc Neith et Clément qui sont charmants. Cécile, Neith et moi irons danser 2 jours avant mon départ dans une boite brésilienne underground qui me marquera par sa programmation musicale parfaite mêlant Funk carioca, Blocos-Afro et soul américaine. Neith est une très bonne danseuse et ses mouvements ne laissent pas les hommes environnants indifférents.

Jour J. Nous partons récupérer la maman de Cécile et me déposer à l’aéroport par la même occasion. Mes sentiments se mélangent et oscillent entre joie de reprendre le cours de mon voyage et tristesse de quitter Cécile. Cette fille, que je ne connaissais pas il y a encore 3 semaines, est devenue mon amie, ma confidente, ma coéquipière. Grâce à elle, ce qui devait être comme le point noir de mon tour du monde est finalement devenue une expérience positive et inoubliable. D’une certaine manière, cette fille m’a sauvé. J’ai rencontré des centaines de gens pendant mon voyage mais aucun d’entre eux n’aura un impact aussi grand et positif sur moi que Cécile.

La maman de Cécile sort du sas d’arrivée. Sa fille lui saute dans les bras. Cela fait plusieurs mois qu’elles ne se sont pas vues. Ce moment est touchant. Je fais par la même occasion sa connaissance et me rend rapidement compte de l’aide inouïe qu’elle m’a apporté. Le sac pèse entre 7 à 8 kilos. Un sac que ce petit bout de femme à du transporter à bout de bras tout au long du voyage. Ça n’a pas été facile et je ne pourrais probablement jamais assez la remercier pour ce geste de solidarité.

Obrigado, Brasil !

Finalement, le Brésil aura été pour moi la définition même de l’aventure. Un condensé de ce que je vais vivre tout au long de mon tour du monde. Des rencontres significatives, des moments forts, des galères, des rebondissements, des découvertes magnifiques... Le Brésil m’aura appris à ne jamais baisser les bras et à prendre la vie du bon côté. A toute situation négative, la parallèle positive n’est jamais très loin. Ne jamais l'oublier.

Obrigado Brasil. Merci infiniment Cécile. Tu as fait de cette galère l'un de mes meilleurs souvenirs de voyage.

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