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Les plus belles histoires sont celles qui se finissent mal

J’avais tout prévu, tout anticipé pour le tour du monde sauf de tomber amoureux d'une femme qui ne partagerait pas mes sentiments. Une période difficile de mon voyage qui va cependant m'amener à comprendre une chose essentielle : réaliser ses rêves n’est pas une garantie d’accéder au bonheur. Retour sur ma vie sentimentale parfois tumultueuse lors de ce voyage hors normes.

Je suis parti célibataire

« Salut Nicolas, ça me fait super plaisir de te revoir après ce long périple »

« Moi aussi, je suis content d’être de retour »

« Tu dois avoir plein de choses à raconter ! Alors quel a été ton pays préféré ? »

« Question difficile, je dirais le Népal, le Myanmar, le Japon, la Chine, Les Philippines, l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande, le Chili… enfin bref, je les ai tous aimé ! »

« Je comprends, difficile de choisir. Et sinon, niveau filles, t’as chopé un max ? »

Voici grosso modo comment démarrent la plupart des conversations post tour du monde. J’exagère à peine. Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, les gens s’intéressent d’abord à vos aventures amoureuses. L’imaginaire collectif veut que le voyageur ne quitte pas une ville ou un pays sans y laisser une fille derrière lui. J’ai toujours trouvé cela bizarre. Certes tout est vécu plus intensément en voyage, vous vous ouvrez plus facilement aux autres et cela engendre pas mal de situations inédites, mais votre personnalité profonde ne change pas. Vous n’êtes pas un dragueur dans l’âme ? Vous ne le serez pas plus en voyage. Vous pensez qu’être français à l’étranger est exotique ? Nous vivons dans un monde globalisé. Des français, il y en a partout et ça ne vous confère pas plus de charme que si vous étiez Allemand, Norvégien, Brésilien ou que sais-je.

Mais je suis parti célibataire. Alors, Ils furent nombreux à me prédire une histoire d’amour exaltante avec une locale. Ils en étaient certains. Je tomberai sur cette jolie japonaise dans les rues de Tokyo, nos visages éclairés par les néons de la ville, et le coup de foudre sera instantané. Je ne pourrai pas résister aux charmes de cette argentine m’apprenant à danser le tango dans un milonga de Bueno Aires. Ou je serai inexorablement attiré par cette tahitienne à la peau caramel sur cette plage paradisiaque.

Ça ne s’est pas exactement passé comme cela. J’ai bien fait des rencontres surprenantes, vécu des histoires passionnelles et éphémères ou passé des soirées au clair de lune, face à l’océan en bonne compagnie. Mais seule une de ces histoires m’a véritablement marqué. Une fille va soulever les barrières que j’avais inconsciemment érigé pour me protéger suite à une séparation douloureuse avec celle qui partagea ma vie pendant 7 ans. Je vais perdre pied pour finalement me heurter à un mur d’incompréhension et d’incertitude alors que mon cœur me criait de foncer. Mais reprenons depuis le début.


Le hasard fait bien les choses

8 mois avant mon départ, un dimanche de janvier froid et grisâtre à Paris. J’ai rendez-vous avec Alice pour faire des photos. Je suis à la recherche de ma « muse », celle avec qui je pourrais développer mes compétences dans le portrait et qui, de son côté, a besoin de photos pour son book ou ses réseaux sociaux. Après plusieurs essais avec d’autres modèles, je crois avoir enfin pioché le bon numéro. Une jeune femme élancée aux mains gantées apparait. Emmitouflée dans sa veste d’hiver, elle porte un grand chapeau qui recouvre ses yeux en amande et de longs cheveux châtains qui s’accordent parfaitement au teint halé de sa peau. Nous faisons connaissance en marchant vers un premier spot photo. Je comprends vite que j’ai affaire à une personnalité singulière. A la beauté d’Alice s’ajoute un caractère de battante. C’est une fonceuse. Ses rêves sont à l’image de sa volonté, immenses et rien ne lui parait insurmontable. Elle jongle entre 3 jobs différents, suit ses cours et s’active sur plusieurs projets personnels. C’est une hyperactive qui voit grand. Nous discutons beaucoup entre chaque prise de vue jusqu’à réaliser, sur le chemin du retour, que nous avons le même projet un peu fou de partir faire le tour du monde. Cette jeune et belle femme, volontaire, déterminée, d’un naturel rafraichissant, qui partage mes passions de la photo et du voyage m’enthousiasme. C’est certain, je veux la revoir.

Nous organisons de nouveaux shootings dans les mois qui suivent, affinons les résultats de notre travail, réfléchissons à d’autres initiatives pour se démarquer sur les réseaux sociaux, testons, nous plantons, recommençons…. Au fil du temps, nous apprenons à mieux nous connaitre et bâtissons une relation amicale sans ambiguïté. En couple ou célibataire, jamais elle ne montrera un quelconque signe d’intérêt à mon égard. J’ai pour ma part quelques histoires qui m’occupent l’esprit et lui rend la pareille. La photographie n’est bientôt plus l’unique raison de nos rencontres. Nous nous voyons pour discuter autour d’un verre, vivons des moments drôles et cocasses. Mon départ approchant, je lui propose de partager une ou plusieurs étapes de nos voyages respectifs. Nous tomberons d’accord sur un pays, peut-être deux. Nous verrons. En attendant, je pars pour la Tanzanie où le Kilimandjaro m’attend. Nous nous reverrons dans un peu moins de 6 mois.

Des retrouvailles au bout du monde

Je me lève tôt ce matin. Je dois aller chercher Alice à l’aéroport qui attaque aujourd’hui le 5e pays de son tour du monde. Pour ma part, je suis déjà à la moitié de mon parcours et je n’ai pas vu le temps passer. J’expédie ma séance de sport quotidienne et prend rapidement mon petit-déjeuner avant de grimper dans un taxi. Je suis impatient et curieux de voir comment ces prochains jours vont se dérouler. Bien que nous ayons des affinités certaines, l’histoire n’est en réalité pas gagnée. Différence d’âge, de budget et possiblement de vision quant au déroulement du voyage. Il y a beaucoup d’inconnus mais cela ne m’inquiète pas outre mesure, je suis simplement content de la retrouver ce matin.

J’arrive à temps. La voici qui sort du sas d’arrivée. La première chose qui me frappe, c’est son style vestimentaire. Les jolies tenues et autres accessoires de coquetteries sont visiblement restés à Paris. Alice s’est transformée en véritable baroudeuse. Place au pantalon technique, à la doudoune rembourrée, ses cheveux sont négligemment attachés et sa mine fatiguée. Cela me rassure ! Tout comme moi, elle part bien pour l’aventure.

Nous avons tellement de choses à raconter que nous ne savons pas par où commencer. Les merveilles que nous avons vues, les rencontres que nous avons faites, les expériences que nous avons vécues. Nous commençons à débriefer sur le chemin du retour. Je lui parle de la beauté de l’Afrique, de mon histoire brésilienne et de ma rencontre avec Cécile. Du Chili et du roadtrip fantastique effectué avec une amie là-bas. Elle réagit alors et me demande :

« Et après 6 mois de voyage, j’imagine que tu as eu l’occasion de te rapprocher de quelques filles, non ? »

« Bien sûr, j’ai fait quelques rencontres sympathiques, notamment en Afrique du Sud et en Argentine. Je suis toujours en contact avec elles d’ailleurs ! »

« Tu expédies un peu vite le sujet je trouve »

« Nous avons tout le temps du voyage pour en parler davantage. Et toi, t’as chopé ? »

« Oui ! Un super gars en Australie, genre surfeur tu vois. Un peu cliché mais ce fût une vraie rencontre. Il est français. Je dois le revoir bientôt »

« Ah oui ? Génial ! Je suis content pour toi. Quand avez-vous prévu de vous revoir ? »

« Je pense que je vais le retrouver juste après notre séjour »

« Cool ! »

Je fais mine de partager son enthousiasme mais suis, en réalité, un peu déçu par ce qu’elle vient de m’annoncer. J’aurais préféré qu’elle soit célibataire. Elle me plait, nous avons la même ambition de voyage et sommes ensemble au bout du monde. Notre conversation coupe court, le taxi s’arrête devant notre hôtel. Nous sommes accueillis par la propriétaire des lieux, une femme plutôt âgée et rustre qui ne nous montre aucune sympathie bien que nous soyons les seuls visiteurs de son grand établissement. Elle se révèlera plus tard être une sorte de « Tatie Danielle » qui nous fera beaucoup rire in fine.

Le temps de s’apprivoiser

Notre première semaine ensemble se passe bien. Nous apprenons à mieux nous connaitre. Plus le voyage avance, plus mes craintes initiales disparaissent. Nous avons du temps pour nous raconter nos vies. Son récit fait parfois écho à ma propre histoire personnelle. Nous discutons, rigolons, jouons beaucoup pour ne pas nous ennuyer lors des longs trajets. Peu à peu, un équilibre s’installe. Nos journées chargées pour visiter les magnifiques sites naturels de la région sont ponctuées par des moments mémorables.

Je me souviens notamment de cette nuit claire où les étoiles filaient à toute vitesse devant nos regards médusées. Ou encore de ce déjeuner avec ce groupe de retraités sud-américains. Ils vont s’éprendre d’Alice et lui offrir une fête d’anniversaire improvisée émouvante. En les regardant chanter puis la prendre, tour à tour, dans leur bras, je me dis vivre un de ces instants suspendus qui m’a poussé à tout quitter pour voyager. L’une d’entre elles essuiera furtivement une larme qui s’est échappée, une autre offrira un petit présent à Alice qui fut, le temps de ce repas, l’égal de leur propre fille. Un moment très touchant que je n’oublierai probablement jamais.

Par ailleurs, Alice se révèle être une partenaire de voyage idéale. Elle a ce supplément d’âme que je recherche. Cette folie qui me fait entrer dans une bulle d’insouciance, où tout est permis tant que l’on croque la vie à pleine dent. Même si j’ai adoré voyager seul jusqu’alors, je comprends enfin pourquoi Jon Krakauer estime dans son livre « Voyage au bout de la solitude », magnifiquement adapté au cinéma par Sean Penn sous le nom de « Into the Wild », que le « bonheur ne vaut d’être vécu que s’il est partagé ». Mon attirance pour elle grandit secrètement et bien que son cœur soit ailleurs, je provoque une discussion pour lui dire ce que je ressens. Elle me répondra ne pas partager mes sentiments. Je me retrouve donc face à un dilemme, continuer à voyager avec elle au risque de voir se renforcer mon attirance ou la quitter et mettre ainsi un terme à cette histoire pourtant agréable.

Je regarde les vols, organise un nouvel itinéraire. Je suis proche de la quitter un matin. Ma raison qui me dit d’abandonner s’entrechoque avec mon instinct. Je vais finalement décider de rester. J’ai le sentiment d’être à l’aube de quelque chose. Que ce soit positif ou négatif, j’ai envie de voir. Ce que je ne comprends pas encore, c’est qu’une relation asymétrique est en train de se construire.

Suis-moi, je te fuis. Fuis-moi, je te suis

Je la regarde contempler le ciel étoilé qui s’étend au-dessus des montagnes depuis le bord de la fenêtre. Les lumières sont éteintes, les notes de Clair de lune résonnent, nous ne disons rien. Elle a l’air heureuse. Nous nous sommes accordés une après-midi de détente. Piscine, spa, hammam et restaurant ce soir. La journée fût parfaite. J’envie ce type qu’elle a rencontré en Australie et me surprend d’une jalousie mal placée lorsqu’elle lui téléphone. Nous nous sommes rapprochés l’un de l’autre et les moments que nous vivons ressemblent désormais à ce dont j’ai toujours rêvé. Une complicité avec une femme sublime dont je partage le même projet dans un cadre idyllique. Chaque jour, notre complicité se renforce et mon départ pour le sud de la Nouvelle-Zélande annonce la fin de cette jolie parenthèse. Nous nous quittons à l’aube d’une histoire prometteuse gravée sur un arbre.

A partir de là, rien ne se déroulera comme je l’avais espéré. Quelques temps plus tard, Alice refermera brutalement cette histoire en m’expliquant n’avoir qu’une place d’ami à m’offrir. Après m’être permis l’espoir de la revoir et de continuer à construire notre caprice, tout s’écroule. Il m’est désormais inconcevable de la côtoyer comme une simple amie. Mes sentiments sont trop forts. Je suis tombé amoureux d’elle et des souvenirs qu’elle m’a laissé. Je refuse donc de la revoir et souhaite que chacun reprenne le cours de son voyage. Tout aurait pu s’arrêter là mais Alice va en décider autrement.

Nos parcours se rejoignent en Indonésie mais la probabilité de se revoir là-bas a fortement diminué depuis notre dernière discussion. Elle prétextera alors avoir besoin de mon aide pour que nous fixions le rendez-vous de nos retrouvailles. J’accepterai encore une fois poussé par mon instinct mais sans aucune certitude. Nous passerons finalement quelques jours ensembles à partager de nouveaux moments privilégiés sans penser au lendemain. Mais Alice est toujours avec son surfeur. Je lui demande de faire un choix ce qu’elle sera incapable de faire. Nous nous quittons avec un goût amer. C’est la dernière fois que je verrais Alice.

S’ouvre alors un jeu du chat et de la souris ou nos jalousies respectives sont le moteur de notre curiosité vis-à-vis du voyage de l’autre. Nous nous espionnons, vérifions chaque fait et geste de l’autre, imaginons des stratégies pour attirer l’attention de l’autre, sans jamais nous parler. Les réseaux sociaux deviennent bientôt addictifs. Je dois vérifier son compte Instagram tous les jours. A-t-elle mis une nouvelle photo ? Que dit-elle ? Qui est dessus ? Cela devient obsessif et malsain mais ne durera, heureusement, qu’un temps. Ce voyage est une chance inouïe qu’il ne faut pas gâcher. Vous vous ressaisissez et le temps faisant son œuvre emporte tout jusqu’à ce que les choses se calment d’elles-mêmes. Notre lien n’est pourtant pas rompu. Nous nous parlons toujours et j'ai même l'impression qu'elle veut me revoir. Comment ? Où ? Dans quelle condition ? Je ne sais pas. Nous verrons bien.

Les plus belles histoires sont celles qui finissent mal

« Hello, ça te tente de faire un dernier pays ensemble ? »

« Wow, je ne m’attendais pas à cela. Avec plaisir, oui ! »

Je suis au Vietnam, la chaleur et le bruit m’épuisent. Je me repose à l’auberge de jeunesse lorsque je reçois ce message d’Alice. L’épilogue de cette histoire est-il enfin arrivé ? Je l’espère et accepte sa proposition avec enthousiasme.

Nous décidons de nous retrouver en Grèce. Ce sera la dernière étape de mon tour du monde. Je prends les billets et les envoie à Alice qui ne me répondra pas. A-t-elle à nouveau changé d’avis ? Je le crains mais m’accroche à l’espoir de la revoir et de finir ce voyage en beauté. En attendant, j’atterris au Népal pour vivre l’une des plus belles étapes de mon tour du monde. Un trek d’une quinzaine de jour pour atteindre le camp de base de l’Everest. L’effort est intense mais chaque jour est un émerveillement. Je réalise mon rêve et atteins enfin le camp. De manière surprenante, il y a du réseau mobile ici. J’en profite pour utiliser le peu de forfait qu’il me reste pour appeler mes parents, ma sœur et… Alice.

Cette dernière m’enverra un message quelques jours plus tard pour m’annoncer finalement que son départ de Grèce est avancé et que nous ne nous verrons pas. Elle vient par la même occasion d’achever terriblement notre histoire.

Au final, je changerai mes billets pour Israël.

Conclusion

Cette histoire de déception amoureuse n’est en réalité ni originale, ni hors du commun. Mais l’intensité des choses inhérentes au voyage, mon histoire personnelle pré tour du monde ou encore les fortes affinités développées avec Alice m’ont poussé à y croire jusqu’au bout même si de raison j’aurais dû passer plus rapidement à autre chose.

Nous n’avons pas su nous dire les choses et nous sommes perdus dans un océan d’incompréhension bien que, j'en suis persuadé, nos envies profondes convergeaient. Je n’ai aucun regret. C'était l'une des plus courtes, mais aussi des plus belles histoires que j'ai eu l'occasion de vivre jusqu'à présent.

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